Non, l’herbe des retraites n’est pas toujours plus verte ailleurs
Les comparaisons avec les autres pays européens sont devenues l’activité favorite des artisans et partisans de la réforme des retraites. Au dire d’Emmanuel Macron à la veille de la journée de mobilisation nationale du 31 janvier, la réforme des retraites serait même “indispensable quand on se compare en Europe”. La rhétorique est simple : le projet du gouvernement s’imposerait ainsi comme une évidence pour mettre une France à la traîne au diapason de ce qui se fait ailleurs.
Rien n’est pourtant moins sûr tant ce raisonnement relatif occulte de nombreuses facettes de la réalité dans les pays qui ont déjà mis en œuvre des réformes similaires.
Commençons tout d’abord par signaler que la France n’est pas l’irréductible Gaulois qu’on veut bien nous présenter, puisque d’autres pays tels la Grèce et la Pologne ont encore des âges légaux “théoriques” de départ similaires. De plus, en pratique, les statistiques montrent qu’un⸱e salarié⸱e ayant commencé à 22 ans et sans interruption de carrière part à 64,5 ans en france, contre 63,9 ans en moyenne dans l’UE.
Mais l’essentiel n’est pas là. Jeter un oeil du côté de nos voisins se révèle surtout utile pour une chose : constater que l’allongement de la durée de vie au travail ne protège pas les retraité⸱e⸱s de la pauvreté, bien au contraire.
En Allemagne, la situation des séniors n’a cessé de se dégrader sur la dernière décennie, en parallèle du recul de l’âge de départ à la retraite qui sera à terme fixé à 67 ans. Près d’un⸱e retraité⸱e⸱ sur cinq vit désormais dans la pauvreté. Aux Pays-Bas, l’augmentation de la pauvreté a été encore plus brutale. La part des retraité⸱e⸱s pauvres est passée de 5,9% en 2013 à 16,7% pendant que l’âge de départ à la retraite était repoussé de 2 ans.
La France de son côté a le taux de pauvreté des retraité⸱e⸱s (10,1%) le plus bas d’Europe à l’exclusion du Luxembourg. 10,1%, c’est 10,1% de trop. Mais ce chiffre éclaire d’un nouveau jour les débats sur la prétendue générosité excessive de notre système de retraites. Et si c’était plutôt ces pays qui devaient prendre exemple sur nous ?
Nombre de personnes âgées sont contraintes de reprendre ou garder un emploi pour réussir à joindre les deux bouts. Outre-Rhin, pas moins de 17% des retraité⸱e⸱s cumulent ainsi emploi et retraite. Quand ils ne tombent pas dans la pauvreté. En France, le passage de l’âge de départ de 60 à 62 ans avait déjà poussé 80 000 personnes supplémentaires vers les minimas sociaux.
Ces choix politiques sont d’autant plus révoltants que les alternatives pour assurer la viabilité du système des retraites ne manquent pas et que les déficits ont été créés par un assèchement continu des ressources, notamment via les multiples exonérations de cotisations sociales.
Il faut dire que dans leur entreprise de sape de la protection sociale, Emmanuel Macron et ses homologues ont de redoutables alliés. L’Union européenne a demandé 8 fois à la France de réformer son système de retraites dans le cadre du Semestre européen, principal outil de contrôle budgétaire des Etats-membres. Les remèdes prodigués vont tous dans la même direction : allongement de l’âge de départ, gel des pensions, fin des régimes spéciaux, etc. La réforme des pensions est d’ailleurs une condition imposée par l’UE à la Belgique pour lui verser la première partie des fonds du plan de relance européen.
Pourtant, certains pays se mordent les doigts d’avoir suivi cette voie. Un des initiateurs de la réforme des retraites en Suède a ainsi exhorté E. Macron à “ne pas copier le même modèle”. Et pour cause : 72% des hommes et 92% des femmes à la retraite ont connu une baisse de leur pouvoir d’achat et de leur pension.
Les réformes dites paramétriques visant à augmenter l’âge de départ ou le nombre d’annuités nécessaires ne sont pas le seul avatar de la mise à mal de nos retraites par répartition. Les systèmes par capitalisation et l’individualisation des pensions sont également des recettes abondamment préconisées par de nombreux gouvernements et institutions internationales comme le FMI. En vérité, les deux vont souvent de pair : les réformes paramétriques des gouvernements successifs ont affaibli les systèmes par répartition, ouvrant autant de brèches pour introduire davantage de capitalisation au nom de la diversification des sources de financement soit-disant indispensable à la survie de la répartition. Et des dispositifs favorisant l’épargne retraite via des fonds de pension privés se sont déjà multipliés, le dernier en date dans la loi Pacte, votée sous le quinquennat précédent d’Emmanuel Macron.
Mais là encore, point de panacée. Selon l’Organisation Internationale du Travail, sur 30 pays qui avaient privatisé leur système de retraites, 18 ont fait marche arrière. Car le bilan est sans appel : le niveau des pensions s’est détérioré, les inégalités se sont accentuées, et c'est principalement le secteur financier qui a bénéficié de l’opération. Là encore, notre bon vieux modèle par répartition basé sur les cotisations se révèle plus sûr, efficace et égalitaire que le modèle par capitalisation.
Ne refusons pas de regarder ce qui se passe autour de nous. Mais faisons le avec lucidité pour ne pas confondre contre-exemples et modèles. Le mouvement social en France peut mettre un coup d’arrêt à la casse généralisée des retraites partout : agissons en éclaireurs !
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