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Nos vies valent plus que leurs (super)profits

Tribune 13 septembre 2022

Fin août, Bruno Le Maire déclarait «les superprofits, je ne sais pas ce que c’est». Cette rhétorique a un objectif : nier l’existence de bénéfices exceptionnels réalisés par les grandes entreprises, et par là même balayer la nécessité de leur taxation exceptionnelle. «Pas de superprofits, pas de taxe. Pas de taxe, pas de superprofits.» Voilà la stratégie du gouvernement.

Elle se heurte néanmoins à la réalité. Le CAC 40 a réalisé un record de 174 milliards d’euros de bénéfices en 2021, en pleine crise Covid. Ce chiffre risque d’être égalé ou dépassé en 2022 avec déjà 73 milliards d’euros sur le 1er semestre, au cœur de la guerre en Ukraine et de la crise de l’énergie. Loin d’être redistribuée aux salariés cette manne financière vient gonfler des dividendes en hausse vertigineuse : 44,3 milliards d’euros rien que pour le 1er semestre 2022.

Le gouffre qui sépare les revenus des actionnaires et des salariés n’en est que plus frappant : quand les dividendes augmentent de 32,7 %, les salaires ne progressent que de 3,8 % (deux fois moins vite que l’inflation). Cette situation est d’autant plus insupportable quand notre pays compte plus de 10 millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté.

Quand nous avons défendu le principe d’une taxation des profiteurs de crise pour la première fois en plein cœur de la pandémie, à l’Assemblée nationale comme au Parlement européen, cette proposition a d’abord été taxée de démagogique. Mais depuis, un consensus global s’est établi : la bataille culturelle est en passe d’être gagnée. L’ONU et le FMI la défendent. Les économistes du monde entier aussi, à l’instar de la Prix Nobel d’économie Esther Duflo. Même la Commission européenne, jusqu’alors hostile à une mise à contribution des grandes entreprises, ouvre la porte devant la liste de plus en plus longue des Etats européens qui la mettent en place : Espagne, Allemagne, Grèce, Pays-Bas, Roumanie, Hongrie, Belgique…

Dans ce contexte, la France ne peut rester la seule «Gauloise réfractaire». 60 % des Français la réclament, près de 130 000 personnes ont déjà signé la pétition initiée par La France insoumise, la majorité présidentielle se craquelle sur le sujet, et le gouvernement ne ferme plus aussi catégoriquement la porte. La communication du camp Macron, réduite à épuiser le dictionnaire des synonymes pour éviter de recourir de près ou de loin les termes «taxe» et «superprofits», cache d’ailleurs une défaite culturelle cinglante. Plus de la moitié de ses électeurs souhaitent eux-mêmes une mise à contribution des profiteurs de crise.

La question n’est donc plus de savoir si la France va mettre en place une taxation des superprofits mais selon quelles modalités. En effet, l’expérience de nos voisins européens démontre qu’une telle taxation peut être plus ou moins efficace pour récupérer les «bénéfices indus» réalisés par les grandes entreprises.

En choisissant une assiette fiscale large basée sur le produit des ventes, l’Italie espère ainsi récolter plus de 11 milliards d’euros. Cette formule a le mérite de rendre caduques les stratégies d’évasion fiscale des entreprises qui transfèrent artificiellement leurs bénéfices dans les paradis fiscaux. Rappelons à ce titre que Total n’a par exemple payé aucun euro d’impôt sur les sociétés en 2020 et 2021 en France.

Les superprofits ne se limitent pas par ailleurs aux seules entreprises énergétiques. CMA CGM, spécialisé dans le transport maritime, a par exemple réalisé près de 15 milliards d’euros de profits au premier semestre 2022. LVMH a vu son bénéfice augmenter de 23 %, BNP Paribas a déjà réalisé un bénéfice net de 5,3 milliards d’euros. Les secteurs concernés sont larges. Certaines entreprises profitent de la crise pour augmenter leurs prix et leurs marges, sans lien direct avec les prix de l’énergie : c’est le cas du groupe automobile Stellantis (Peugeot, Citroën, etc.) qui a profité du déséquilibre offre-demande pour augmenter ses bénéfices nets de 34 % au premier semestre en… augmentant ses prix de vente !

Il apparaît ainsi indispensable que la taxation des superprofits concerne toute grande entreprise enregistrant un bénéfice largement supérieur à la moyenne des années précédentes. Au total, ce sont plus de 10 milliards d’euros qui pourraient ainsi être récoltés à l’échelon français et au moins 50 milliards au niveau européen. N’en déplaise au ministre du Budget, Gabriel Attal, une telle somme «changerait bien le quotidien des Français» en permettant de financer un an d’allocation d’autonomie de 1 063 euros par mois à tous les jeunes de moins de 25 ans ou l’isolation complète de près de 500 000 logements par an.

Alors que les PME paient en moyenne deux fois plus d’impôts que les grandes multinationales, la taxation des superprofits serait aussi un outil de rééquilibrage de l’inégalité fiscale entre grandes et petites entreprises. Une brèche ouverte dans un système fiscal injuste qu’il nous faudra réformer en profondeur.

Longtemps ignorée puis âprement combattue, la taxation des superprofits est en passe de s’imposer comme une évidence. Mais remporter une bataille culturelle ne suffit pas à changer les lois. Pour être effective, il faut des modalités ambitieuses pour que la crise ne soit plus le terrain de jeu d’une poignée de multinationales en soif de bénéfices. C’est tout l’enjeu des prochaines semaines, en France comme en Europe.

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