Nupes aux européennes : pour Manon Aubry, «il faut cheminer ensemble»
Depuis des semaines, en dépit des réticences, voire des refus de leurs partenaires de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), les insoumis plaident inlassablement pour la constitution d’une liste commune aux européennes. Pour l’eurodéputée Manon Aubry, tête de liste LFI en 2019, les récentes déclarations du porte-parole du PS Pierre Jouvet et du député EE-LV Julien Bayou montrent que c’est encore possible. Le premier suggère un débat à gauche à l’automne sur le sujet ; le second, à titre personnel, dit «oui» à une alliance sur une ligne écolo et fédéraliste. Manon Aubry leur propose donc une «méthode» pour y travailler dès maintenant, et dépasser des divergences qu’elle ne juge pas insurmontables.
Interview publiée dans le journal Libération.
Les insoumis veulent une liste commune malgré les objections de leurs partenaires. Pourquoi c’est important d’être ensemble ?
Il y a un double enjeu à continuer l’aventure de la Nupes : gagner contre le RN et Renaissance, et confirmer qu’on est la première force d’opposition. On a une telle crise de régime qu’on ne sait pas si dans les mois à venir, il n’y aura pas une dissolution, un référendum ou un événement politique où on devra être unis. Comment défendre la Nupes comme une alternative et en même temps faire des campagnes séparées ? Comment peut-on dire «vive la Nupes unie» le matin, et le soir «on est en désaccord» ? Notre union permettrait de renforcer notre influence au Parlement européen, à un moment où les droites, elles, se rejoignent. On ne part pas de rien : on a déjà un chapitre commun sur les européennes et mené de nombreux combats ensemble pendant le mandat précédent.
C’est encore possible ?
Oui, avec une méthode. L’objectif n’est pas de tordre le bras à quiconque, mais de laisser les options ouvertes et d’y travailler sérieusement. On nous disait que c’était impossible mais on voit que l’idée commence à faire son chemin. Les socialistes ouvrent la porte. Banco ! Les écolos ne sont pas si unanimes. Travaillons sur le fond et voyons si ça fonctionne.
Vous parlez de méthode. De quoi s’agit-il ?
Je suis d’accord avec Pierre Jouvet : partons du programme. Mais septembre me semble tardif, on doit travailler dès maintenant : voyons-nous pour convenir d’une méthode et d’un calendrier. Nous pouvons mettre en place des groupes de travail sur trois chantiers. D’abord, faire le bilan de ce qu’on fait déjà ensemble au Parlement. Ensuite, identifier nos grandes priorités pour 2024. Qu’est-ce qu’on fait des règles d’austérité et de concurrence ? Comment rend-on l’Europe indépendante sur des secteurs ? Enfin, troisième chantier : comment traitons-nous les sujets identifiés comme problématiques ?
Lesquels ?
L’Europe de la défense, l’élargissement de l’Union, le protectionnisme ou le rapport au fédéralisme. Certaines de ces questions sont théoriques et on ne vote pas forcément dessus, mais il y a des questions concrètes qui nous sont posées et qui permettent de sortir des postures. C’est comme ça qu’on avait réussi à écrire le chapitre Europe du programme de la Nupes aux législatives, qui était consensuel entre nous. Est-ce qu’on veut conserver le principe d’unanimité pour les mesures fiscales ou le supprimer pour s’attaquer aux paradis fiscaux par exemple ? Si on veut gouverner ensemble, on devra faire ce travail. Autant le faire le plus vite possible.
Jusqu’ici, mis à part la porte entrouverte par Julien Bayou et Sandrine Rousseau, les écolos refusent catégoriquement. Que leur dites-vous ?
Ce serait dommage de se priver de la capacité à remporter les européennes. Ensemble, nous pouvons gagner et susciter l’espoir. Si on veut un candidat commun à la présidentielle, comme ils disent le souhaiter, il faut cheminer ensemble. Les écolos disent qu’il faut une voix écolo forte. Nous n’avons pas de désaccord avec ça. Et nous sommes prêts à discuter de la tête de liste en prenant en compte le rapport de force de 2019.
S’ils ne changent pas d’avis, vous pourriez faire une liste à trois, sans eux ?
Ce n’est pas l’option privilégiée, on a envie de les convaincre. Il peut y avoir une forme d’émulation, comme ça a été le cas à la création de la Nupes. On n’était pas sûrs qu’il y ait tout le monde au début. Un an plus tard, on a appris à se connaître et à travailler ensemble, ça devrait donc être encore plus simple.
L’idéal européen des écolos et des socialistes ne bute-t-il pas contre l’analyse des insoumis, qui estiment qu’on ne peut aujourd’hui avoir un projet social ambitieux sans désobéir aux traités ?
On doit justement en discuter. On a des histoires politiques différentes. Moi je suis issue de la France du «non» par exemple. En face, des socialistes ont voté oui. Mais aujourd’hui, tout le monde est d’accord pour dire que le vote démocratique n’a pas été respecté et que la règle des 3 % de déficit est indéfendable. Autre exemple : on est tous d’accord pour faire une cantine qui s’approvisionne localement. Or, c’est contraire aux règles européennes sur la concurrence. On a gagné une bataille culturelle qui est la remise en cause des traités. Maintenant comment fait-on ? Nous, on parle de désobéissance, d’autres parlent de dérogations. Derrière les mots, l’ambition est la même. Sur l’Europe de la défense, on demeure opposé telle qu’elle est pensée, car au service de l’Otan, mais on peut discuter d’un cadre alternatif de coopérations militaires européennes. On n’effacera par les quinze ans de débat mais on peut s’entendre sur un programme d’action.
Un échec des négociations signifierait-il le début de la fin de la Nupes ?
En tout cas j’ai du mal à imaginer une parenthèse. Ce serait inaudible pour l’électorat de gauche. Comment expliquer aux électeurs pour qui la Nupes a suscité un espoir que nous repartons séparés aux prochaines élections ? Comme expliquer que nous voulons gouverner ensemble sans s’accorder sur la question européenne ?
Vous avez participé aux négociations il y a bientôt un an. Quel bilan en tirez-vous ? Ça marche, la Nupes ?
Depuis qu’on l’a créé, il n’y a pas eu une semaine sans qu’on nous dise que c’était fini. Mais au bout d’un an, elle tient bon. Maintenant, il faut l’approfondir. Le plus beau cadeau pour ses un an, ce serait de passer aux travaux pratiques et ça commence par les européennes. On a le premier test de l’acte II de la Nupes.
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