Les « parasites » sont ceux qui s’enrichissent sur l’exploitation des hommes et de la nature
Vendredi dernier, un actionnaire de Total que j’interpellais sur les violations des droits humains commises par son entreprise a refusé de me répondre sur le fond et a préféré m’insulter en me traitant de « parasite ». Au-delà du recours à la violence verbale - un autre m’ayant prise à partie violemment en me disant « vous êtes de la merde » - et à la grossièreté pour éviter le débat démocratique, le terme choisi m’a paru révélateur. Car le mot « parasite » correspond en réalité parfaitement à ce que sont les actionnaires des grandes multinationales, accumulant comme des sangsues des dividendes sur l’exploitation des hommes et de la nature.
Total et ses actionnaires ont accumulé plus de 19 milliards de profits l’année dernière sur le dos de la planète, la guerre en Ukraine et l’explosion des prix de l’énergie pour les classes populaires. Cela représente un tiers du budget de l’éducation nationale en France ! La moitié de cette somme est tombée directement dans la poche des actionnaires, qui s’étonnent ensuite qu’on leur demande de rendre des comptes. En revanche, seulement 200 millions se sont retrouvés dans les caisses de l’État. Car Total, non content d’offrir des rémunérations records à ses actionnaires et dirigeants, fait également partie des pires adeptes de l’évasion fiscale. Imaginez que depuis 10 ans, Total a reçu plus d’aides de l’État qu’ils n’ont payé d’impôt sur les sociétés !
Alors, qui sont les « parasites » ?
Le « modèle » Total, dénoncé à raison par les centaines d’activistes présents pour bloquer leur Assemblée générale, repose par ailleurs sur une véritable bombe écologique et sociale. Total se déclare préoccupé par le dérèglement climatique mais prévoit d’allouer 70 % de ses dépenses d’investissement dans le gaz et le pétrole d’ici 2030 et amorce toujours plus de nouveaux projets fossiles pharaoniques. Total prétend être un modèle social alors qu’il continue de supprimer des emplois, plus de 4.000 en 2021 dont 700 en France. Total nous parle de développement durable et responsable mais cause l’expropriation de plus de 100 000 personnes en Ouganda et en Tanzanie pour son projet EACOP. Total se revendique modèle éthique alors que sa production a été utilisée pour les carburants des avions russes qui bombardent les populations civiles ukrainiennes.
Alors, qui sont les « parasites » ?
Pour l’actionnaire de Total qui m’a insultée, le parasite c’est évidemment le jeune qui participe aux marches climat, l’activiste qui éveille les consciences sur les enjeux écologiques, le citoyen engagé aux côtés des associations et des ONG, ou l’élu politique qui se bat contre les intérêts privés. Pour le reste de la société, le parasite, c’est l’actionnaire qui construit sa fortune sur un modèle économique qui détruit tout. Et si Total en est l’exemple paroxystique, il est loin d’être le seul. Car le constat est le même pour les marques de vêtement associées aux 1 135 morts du Rana Plaza ou au travail forcé des Ouïghours en Chine, les géants du BTP construisant les stades de la coupe du monde au Qatar sur les cadavres de milliers de travailleurs immigrés ou le secteur agroalimentaire encourageant la déforestation et la pollution des sols. Au-delà de Total, c’est bien un système économique prédateur dans sa globalité, qu’il faut aujourd’hui remettre sous contrôle.
Hasard du calendrier, nous avons cette semaine l’occasion de rétablir (un peu) l’équilibre face au sentiment de toute-puissance et à l’impunité dont bénéficient ces multinationales et ceux qu’elles enrichissent. Le Parlement européen vote en effet sur la création d’un devoir de vigilance des grandes entreprises à l’échelle de l’UE, les rendant responsables de l’impact écologique et social de leur activité sur l’ensemble de leur chaîne de production.
Cette directive, plus ambitieuse que la législation française actuelle, permettrait à la fois d’obliger les entreprises à rendre des comptes, de les sanctionner durement en cas de faute, et d’offrir aux victimes un accès à la justice. Elle mettrait un sérieux coup d’arrêt à toutes les entreprises qui fondent leur business modèle sur l’exploitation des gens et de la nature et profitent de leurs filiales et sous-traitants pour se cacher et tirer des profits criminels sans être tenues responsables. Le principe est simple : puisque les profits remontent la chaîne de valeur jusqu’aux sièges de nos multinationales, la responsabilité pour l’exploitation meurtrière des travailleurs et de la nature doit en faire autant.
Mais ce texte est aujourd’hui en danger, attaqué par une partie des libéraux et de la droite qui veulent le faire tomber avec le soutien de l’extrême droite. Ces attaques ne viennent pas de nulle part, elles sont directement téléguidées par les lobbies industriels qui n’ont lésiné sur aucun moyen ces derniers mois pour tenter d’affaiblir le texte. Notons au passage que ces mêmes lobbyistes ne semblent pas, eux, nous considérer comme des « parasites » tant ils ont passé de temps et dépensé d’argent pour tenter d’influencer notre position. Face à l’impunité des multinationales comme à l’ingérence de leurs lobbies, nous devons demain en tant que parlementaire européen prendre nos responsabilités. Être à la hauteur de notre rôle de régulateur au service de l’intérêt général, ou céder face aux pressions de ceux qui se croient au-dessus des lois et veulent « parasiter » la démocratie.