Accord de libre-échange UE – Mercosur : le bal des hypocrites
Les accords de libre-échange font enfin la une de l’actu. Ce n’est pas faute d’avoir alerté depuis des années sur les ravages qu’ils causent tant sur notre agriculture, notre santé et notre planète, et d’en avoir fait un axe majeur de ma campagne des élections européennes (ce qui est même devenu un objet de moquerie de certains journalistes qui me disaient « obsessionnelle sur le sujet »).
Je ne reviendrai pas ici sur les arguments de fond contre l’accord avec le Mercosur, j’ai déjà longuement eu le temps de les développer. Mais impossible de ne pas être frappée par le soudain revirement de toute la classe politique sur cet accord depuis les 1ères actions des agriculteurs le week-end dernier. C’est même un bal des hypocrites qui vient verser des larmes de crocodiles auprès des agriculteurs sur les mobilisations, après avoir soutenu pendant des années (des décennies même…) le libre-échange.
Le bal a été ouvert par François-Xavier Bellamy des Républicains, qui s’est précipité dès dimanche soir sur le barrage de Vélizy en région parisienne pour dire tout son soutien aux agriculteurs. Évidemment, il s’est bien gardé de dire que la même semaine, il avait voté pour le report du texte européen sur la déforestation, une demande du Brésil, levant ainsi un des derniers obstacles à la signature de l’accord de libre-échange avec le Mercosur. Accord dont le premier promoteur n’est autre que son groupe politique, le PPE, dont il est le vice-président. Il faut dire que pour la droite européenne, l’enjeu de vendre des voitures allemandes l’emporte sur la sauvegarde de notre agriculture européenne.
Vient ensuite Jordan Bardella, ou plutôt Jordan Bardepasla. Désormais président de groupe au Parlement européen (mais pas plus là), son groupe est devenu la béquille de la droite, soutenant massivement les accords de libre-échange. Et quand je me bats contre l’opacité des négociations demandant avoir accès au texte de l’accord et un débat en commission du commerce international ? Son groupe des « patriotes » de pacotille est aux abonnés absents.
La palme de ce bal revient sans doute aux Macronistes qui n’ont eu de cesse de vanter les bienfaits du libre-échange ces dernières années parce que, vous comprenez « c’est génial pour nos producteurs d’exporter ». Et peu importe si cela suppose d’importer en échange des produits qui viennent des quatre coins du monde et qui ne respectent pas les mêmes normes environnementales et sociales qu’en Europe. Peu importe si cela suppose d’ingérer des pesticides, OGM ou hormones de croissance interdits (à raison !) sur le sol européen. Peu importe si ces produits font trois fois le tour du monde sur des bateaux-cargos polluants avant de finir dans notre assiette.
Tous les macronistes semblent découvrir soudainement avec horreur l’impact de l’accord avec le Mercosur. Mais où étaient-ils ces dernières années pour demander à la Commission européenne l’arrêt des négociations ? Où étaient-ils pour exiger que le Parlement européen se positionne contre l’accord ? Nulle part. Si, pire, ils en étaient les fervents défenseurs. Cela fait 25 ans que l’accord est négocié, et les discussions ont repris de plus belle en 2023. Cela fait 7 ans que Macron est au pouvoir. Qu’a-t-il fait ? Rien. Jamais il n’a demandé à ce que les négociations soient interrompues, illustrant par ailleurs encore un peu plus l’affaiblissement de la France sur la scène européenne. Qu’a-t'il fait pour refuser le changement de base juridique (la scission de la partie commerciale et de la partie politique de l’accord) qui permettra de contourner les parlements nationaux ? Rien. Pire, les macronistes ont refusé que soit inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale notre proposition de résolution avec vote… pour finalement en demander un eux-mêmes une fois que la colère agricole a explosé.
Au Parlement européen, n’en parlons même pas : le groupe Renew pourtant présidé par la macroniste Valérie Hayer a systématiquement refusé mes demandes de débat et de résolution. Et ce alors que la Commission européenne est en infraction et n’associe pas le Parlement européen sur les négociations de l’accord comme elle devrait le faire. Ce débat sur le Mercosur n’est pas nouveau au Parlement européen : à de nombreuses reprises j’ai déposé des amendements contre l’accord ces dernières années. Les macronistes, la droite et l’extrême-droite ne l’ont jamais voté, comme par exemple celui-ci.
Par ailleurs, peu de journalistes l’ont relevé, mais toute la nuance de la position des macronistes tient dans le refus de l’accord « en l’état ». Comprendre : ajoutez-y quelques petites mesurettes symboliques, soupoudrez-y d'engagements non contraignants. Et hop, il sera signé. Parmi ces clauses factices : le respect de l’Accord de Paris. Alors même que l’Argentine de Milei a claqué la porte de la COP29 et envisage de se retirer de l’accord de Paris. Et il faudra nous expliquer en quoi l’importation de denrées agricoles depuis l’autre bout du monde alors qu’on les produit ici est compatible avec les l’Accord de Paris…Bref, personne ne doit être dupe. La France et Emmanuel Macron préparent leur défaite en rase campagne et tentent un dernier baroud d’honneur. Mais ce n’est pas le sprint sur la ligne d’arrivée qui compte. C’est la course menée jusqu’alors.
Enfin tout ce nouveau « consensus » de façade contre l’accord UE-Mercosur ne doit tromper personne : il n’est en rien une condamnation du libre-échange par les macronistes, la droite et l’extrême droite. Or, justement, de nombreux autres accords déjà votés ou à venir ont ou auront des impacts terribles pour notre agriculture. Et ceux-là, les défenseurs des agriculteurs de la 25ème heure n’y trouvent rien à redire. Rien que sous le mandat précédent, le Parlement européen a voté sur l’accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande, le Kenya, le Chili, et le Vietnam. Et devinez qui a voté pour ? TOUS les groupes politiques. Oui tous. Sauf le groupe que je préside et dans lequel siègent les Insoumis. Je l’ai répété à de nombreuses reprises pendant la campagne des européennes : nous sommes le seul groupe qui n’a jamais donné aucune voix au moindre accord de libre-échange. Et le moment de lumière actuel sur ces accords exige la vérité. Exemple ici avec l’accord voté l’année dernière avec la Nouvelle-Zélande, 1er exportateur de lait et d’agneau au monde, qui faisait déjà peser une concurrence déloyale pour nos agriculteurs.
Marine Tondelier disait hier matin sur France Inter qu’il fallait que les députés français « convainquent dans leur groupe leurs collègues des autres pays ». Elle a mille fois raison. Dommage qu’elle ne l’ait pas appliqué à son propre groupe quand on sait que le groupe des Verts a par exemple majoritairement voté en faveur de l’accord avec la Nouvelle-Zélande (76%). Il en va ainsi du groupe européen socialiste (94% en faveur), historiquement un ardent promoteur des accords de libre-échange.
Le président socialiste (allemand) de la commission du commerce international s’est d’ailleurs empressé de me rappeler à l’ordre parce que je dénonçais le huis clos du “monitoring group” sur l’accord UE-Mercosur, le seul cadre existant au Parlement européen pour nous informer des négociations alors que celui-ci est censé être co-décisionnaire. Trouvent-ils normal que nous n’ayons toujours pas accès aux documents de négociation et à la dernière version du texte de l’accord alors que sa signature est imminente ? Pas moi. Et j’estime que c’est mon devoir de 1ère vice-présidente de cette commission du commerce international d’en faire écho.
La bataille est donc loin d’être terminée et il faudra garder le rythme au milieu de ce bal des hypocrites. La mobilisation des agriculteurs contre l’accord de libre-échange avec le Mercosur et son large soutien dans la population démontrent que nous avons gagné la bataille culturelle en matière de protectionnisme. Mais c’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses et je sais à quel point nous dansons sur une corde raide. Pendant qu’en face le bal des hypocrites bat son plein. Vous aurez été prévenus.