Inflation : Bruno Le Maire, Christine Lagarde et le déni des superprofits.
C’est une présence à laquelle on peine à s’habituer : l’inflation et son cortège de difficultés, notamment pour les classes populaires. Elle se rappelle toujours à notre bon souvenir, que ce soit au moment de régler les factures d’électricité ou de payer les courses hebdomadaires. Avec un ticket de caisse qui se révèle de plus en plus salé : les prix des produits alimentaires ont subi une hausse de 14,5% depuis un an. Soit le double de la hausse générale des prix. Certains produits de première nécessité ont carrément explosé : +54,3% pour le sucre, +37,4% pour la farine, +25,2% pour le riz, 22,7% pour le beurre… Et malheureusement, on n’en voit pas encore le bout. Conséquence : selon les derniers chiffres, les salaires réels reculent de 3%. Mais cette situation ne semble pas émouvoir outre-mesure le ministre de l’économie Bruno Le Maire, ni la présidente de la Banque Centrale européenne (BCE) Christine Lagarde, tous deux dans le déni sur la principal moteur de la flambée des prix en cours : les superprofits des multinationales. Leur responsabilité est immense dans la crise des prix que nous traversons et je vous explique pourquoi dans cette note de blog.
Commençons par la BCE : publiquement, Christine Lagarde martèle à longueur de journée que la menace principale qui pèse sur l’économie, c’est le déclenchement d’une boucle prix-salaires. Autrement dit, que les augmentations de salaires et de prix s'alimentent réciproquement dans une spirale inflationniste hors de contrôle. Et c’est suivant cette logique que la Présidente de la BCE est prête à augmenter les taux d’intérêt jusqu’à “des niveaux qui restreignent l’activité économique”, selon ses dernières déclarations. Traduction : le chômage et la récession sont perçus comme des outils de lutte contre l’inflation. C’est cynique, mais dans la logique économique orthodoxe, ça se tient : moins d’activité économique, c’est plus de chômage et donc moins de personnes qui reçoivent un salaire (et tant pis pour eux). Au total, la demande générale s’en trouve réduite, de même que la pression à la hausse sur les prix. D’ailleurs, pour justifier la même politique de resserrement monétaire aux Etats-Unis, le Président de la Fed (équivalent de la Banque centrale) n’est pas passé par quatre chemins et a déclaré : “Nous avons besoin d’une hausse du chômage pour lutter contre l’inflation”.
C’est donc la double peine : non seulement la hausse vertigineuse des prix rend la vie de plus en plus chère pour les gens. Et par-dessus le marché, les banques centrales prescrivent un remède de cheval inadapté qui va les paupériser et précariser encore davantage. Le cynisme est d’autant plus fort qu’en privé, Christine Lagarde sait pertinemment que ce ne sont pas les salaires qui font exploser les prix. Elle le sait car elle a assisté avec tous les gouverneurs de la BCE à une présentation de ses économistes-maison, dont les conclusions ne souffraient aucune ambiguïté : ce sont les profits, et non les salaires, qui tirent les prix à la hausse. Dit autrement : l’inflation constatée entre début 2021 et l’été 2022 s’explique deux fois plus par les marges des entreprises que par les augmentations de salaires.
Pour résumer à très grands traits, il y a d'abord eu l’inflation créée majoritairement par la désorganisation de l’économie liée au covid, puis l’inflation causée majoritairement par la flambée des prix de l’énergie et des matières premières. On est maintenant dans une 3ème phase où les profits privés mènent la danse, même s’ils tenaient déjà un rôle important dans les phrases précédentes pour certains secteurs d'activité (énergie, transport maritime, secteurs miniers et agricoles). C’est l’exact inverse du discours que nous sert la BCE depuis plusieurs mois pour justifier sa hausse des taux. Laquelle profite avant tout aux grandes banques privées, qui reçoivent de plus en plus d’intérêts pour leurs dépôts sur les comptes des banques centrales, à mesure que les taux augmentent. Et on ne parle pas de queues de cerises : le taux directeur de 3% bientôt annoncé par la BCE signifie que les banques de la zone euro toucheront 122 milliards € d’intérêts en un an. Si les taux augmentent jusqu’à 4,5%, option à laquelle la BCE laisse la poste ouverte, ce sera même 183 milliards ! Dont 45 milliards rien que pour les banques françaises, d’après les calculs de l’économiste Eric Dor. Alors, Christine Lagarde, quand est-ce qu’on arrête avec le double discours ?
Surtout que pendant ce temps-là, du côté du gouvernement, c’est le concours Lépine du vide pour lutter contre l’inflation : il nous avait d’abord annoncé une mesure-phare contre la hausse des prix sous la forme d’un “panier anti-inflation” de quelques dizaines de produits pour lesquels les prix auraient été plus ou moins gelés. Ça n'a jamais été ni très clair ni révolutionnaire, mais il y avait au moins l’idée d’une mesure uniforme à l’échelle nationale. Résultat des courses (vous l’avez ?) : Bruno Le Maire demande gentiment à la grande distribution de pratiquer des “prix les plus bas possibles” pendant 3 mois. En gros : Faites des promos… mais avec un petit logo tricolore s’il-vous-plaît. Pas de contrainte, pas de liste de produits ni de prix fixés. Rien. Nada. Parce que, vous comprenez, le ministre “croit à la liberté de commerce” et que “c’est à chaque distributeur de faire les efforts qu’il souhaite sur un certain nombre de produits de son choix.” En clair, les distributeurs ont réussi à tordre le bras au gouvernement, malgré le peu d’ambition qu’il avait à l’origine. Pourtant, ils se portent bien, comme l’ensemble du secteur agro-alimentaire dont les profits s’envolent et contribuent fortement à la hausse des prix de l’alimentation. Le taux de marge dans le secteur a atteint un pic de 44%.
Cela nous ramène à ce qu’on dit depuis le début : il faut taxer les superprofits car les grandes entreprises n’ont pas fait qu’amortir les crises, elles en ont aussi largement profité au passage. Le record de 152 milliards de bénéfices pour le CAC 40 en 2022 en est un nouvel indice. Bref, dans le cas de la BCE comme de celui du gouvernement français, on nie la réalité et on choisit délibérément de sacrifier les plus pauvres pour continuer de caresser les entreprises et les riches dans le sens du poil. Mais pour faire croire le contraire, le gouvernement lance des contre-feux, comme celui sur le partage de la valeur ajoutée dont je vous parlais récemment.
La question du financement des retraites et celle de la lutte contre l'inflation reviennent donc finalement au même enjeu : le partage des richesses et la justice sociale. Et c'est cette bataille que nous continuerons de mener dans la rue, à l'Assemblée et au Parlement européen !