Coupe du monde au Qatar : a-t-on envie de jouer au foot sur des cadavres ?
Qu’on aime le foot ou pas, ce sport qui réunit des milliards de fans à travers le monde est un sujet majeur. Et c’est aussi une affaire de gros sous. On ne découvre pas aujourd’hui le foot business et ses excès : dérégulation, privatisation, corruption, enrichissement de quelques-uns... Mais l’organisation de la coupe du monde 2022 au Qatar franchit un nouveau seuil. Les chiffres sont glaçants : plus de 6 750 morts sur les chantiers. Et cette question qu’on ne peut s’empêcher de se poser : a-t-on envie de jouer au foot sur des cadavres ?
Petit retour en arrière : en 2010, la FIFA décide d’attribuer la coupe du monde 2022 au Qatar. Et dès le départ, cela ne sentait pas bon, avec des soupçons de corruption et un rôle pour le moins louche de la France dans cette décision… Le choix du Qatar a en effet de quoi étonner : le pays n’a pas les infrastructures nécessaires et le climat désertique rend les compétitions sportives très difficiles. Mais surtout, et la FIFA le savait bien, les travailleurs sont soumis au Qatar à un système de quasi-esclavage, la “kafala”, qui garantit un pouvoir écrasant aux entreprises. Les travailleurs étrangers (95 % des travailleurs du pays) doivent payer une agence de recrutement et ne peuvent pas changer d’emploi, sortir du territoire, louer un logement ou même ouvrir un compte en banque sans l’accord de l’employeur. La confiscation des passeports est une pratique courante et les syndicats sont interdits
Le Qatar prétend avoir fait des réformes mais les ONG ont de sérieux doutes sur leur mise en œuvre. Dès 2012, la Confédération Syndicale Internationale et l’association Human Rights Watch ont alerté sur les conditions de travail effroyables des ouvriers immigrés sur les chantiers de la coupe du monde. Des avertissements ignorés par la FIFA et malheureusement confirmés en février : le journal The Guardian a révélé l’ampleur du drame humain qui se joue avec au moins 6 750 travailleurs migrants morts depuis 2011, soit 12 par semaine depuis 10 ans ! Les autorités locales nient bien entendu les faits et essaient de nous faire croire qu’il s'agit de morts naturelles. Mais les témoignages convergent et sont accablants : jusqu’à 70h de travail par semaine à plus de 40°C au soleil, heures supplémentaires non payées, retards de salaires, hébergement dans des taudis éloignés des chantiers, absence d’assurance maladie, incapacité d’accéder aux hôpitaux. Les entreprises multinationales ne s’y sont pas trompées : la Coupe du Monde au Qatar, c’est l’occasion rêvée de réaliser des affaires juteuses en exploitant les travailleurs en toute impunité.
C’est donc dans ce contexte d’exploitation et de misère humaines que se construisent les immenses stades et infrastructures qui accueilleront les matchs de la coupe du monde. Au-delà de ce constat macabre, il est temps de questionner les responsabilités. La France, l’Union européenne et les organisations internationales doivent rappeler la responsabilité du Qatar par tous les moyens diplomatiques disponibles. Mais ce sont aussi nos entreprises sur lesquelles nous pouvons agir directement. On ne peut plus laisser impunies les violations des droits humains, auxquelles elles participent et dont elles tirent profit. C’est tout le sens de mon combat contre l’impunité des multinationales au niveau européen. Les chantiers ne se construisent pas tout seul. Au moins treize entreprises européennes, dont plusieurs françaises comme Vinci, la RATP, Bouygues, Keolis… doivent rendre des comptes sur la protection de leurs salariés. Voilà l’objectif du devoir de vigilance que je souhaite mettre en place au niveau européen : pour enfin tenir responsables ces entreprises et permettre aux victimes d’accéder à la justice.
Partout dans le monde, les amateurs de sport se mobilisent pour dénoncer la situation. Même les équipes nationales d’Allemagne, des Pays-Bas ou de Norvège ont pris position contre cette exploitation des travailleurs. Alors maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?
La question du boycott, largement débattue dans les médias depuis quelques semaines, est bien évidemment légitime. Mais en pratique, elle ne changerait pas les conditions de travail sur le terrain au Qatar. Le boycott pourrait même être contre-productif pour les travailleurs (en plus de nous priver de la coupe du monde), en les privant du seul levier d’influence qu’ils ont en leur possession. Mon sentiment est qu’au contraire qu’il faut saisir de l’opportunité de la coupe du monde pour transformer concrètement les conditions de travail au Qatar mais aussi changer durablement les pratiques dans le foot en tenant directement responsables la FIFA, les fédérations nationales, sponsors et entreprises.
Et c’est là qu’on a besoin de vous. Oui vous, que vous soyez passionné de ballon rond ou non, vous pouvez agir. En dénonçant les entreprises qui tirent profit de cet esclavage moderne à commencer par Vinci. En demandant des comptes à la FIFA, qui a fermé les yeux depuis le départ et doit à l’avenir intégrer systématiquement la question des droits humains dans ses procédures d’attribution de la coupe du monde. En s’attaquant aux sponsors qui sont autant de complices indirects. Interpellons Nike, Adidas, Coca-Cola, McDonald's etc. pour qu’ils se désengagent de cette coupe du monde. Si le seul message que comprend la FIFA c’est celui de l’argent, appelons au désinvestissement !
Dans ce combat, la mobilisation citoyenne est indispensable. Il faut que les entreprises se sachent observées, épiées, surveillées. Le scandale de la Super Ligue l’a rappelé : lorsque les fans haussent le ton pour défendre les valeurs du sport, ils peuvent obtenir gain de cause. J’appelle tous ceux qui aiment le foot, les clubs amateurs, les supporters, les entraîneurs à se mobiliser pour interpeller la FIFA et les entreprises. On veut une belle coupe du monde, avec de grands joueurs, de beaux matchs mais cela ne doit pas se faire au détriment des droits humains. Le foot ne se joue pas sur des cadavres !