Harcèlement à McDonald’s : l’impunité du clown
Dans nos vies militantes, certaines rencontres laissent des souvenirs indélébiles. Des souvenirs que l’on porte dans notre cœur quand reprend la lutte pour nos droits. Ma rencontre avec Mathilde, Tanya, Jessica et Gabriel, victimes de harcèlement sexuel dans les restaurants McDonald’s et travailleurs en lutte, compte parmi ces moments-là.
Début septembre, à mon invitation, quatre jeunes femmes et hommes sont venus témoigner au Parlement européen d’abus subis dans les restaurants de la chaîne au Brésil, en France et aux Etats-Unis. A tout juste vingt ans, devant une salle pleine et face aux caméras, ils racontent les agressions de leurs supérieurs et leurs combats pour les droits des travailleurs.
Gabriel a enduré pendant des mois les insultes racistes et homophobes, le surnom de “petit noir” et la corvée de ramasser les préservatifs usagers aux toilettes. Le harcèlement s’aggrave, jusqu’au jour où son manager lui éjacule dessus alors qu’il dort dans la salle de pause. Gabriel en réfère à sa supérieure et se voit rétorquer : "Arrête ton drame, lave-toi et retourne travailler".
“McDo”, pour Jessica, c'était le tout premier boulot. Elle rêvait de grimper les échelons en redoublant d’efforts, mais devient rapidement la proie de son supérieur. Il la touche devant ses collègues et lui envoie des photos de son sexe. Il exige des photos intimes et menace de la licencier si elle refuse. Les plaintes de Jessica sont enterrées : au harcèlement de son supérieur s’ajoute la complicité de la hiérarchie.
Quant à Mathilde, trois ans passés chez McDonald’s au Havre ont viré au cauchemar.Les managers les menacent en montrant la caméra de surveillance : "attention, travaillez bien, papa et maman vous regardent”. Et là encore revient le harcèlement sexuel. Un supérieur commente constamment ses fesses, lui demande des photos d’elle nue et qu’elle lui touche le sexe. Mathilde se met en grève avec ses collègues et se fait licencier en représailles.
Tanya aussi a connu le harcèlement et l’omerta dans les restaurants McDonald’s. Depuis 5 ans, elle se bat contre les abus et l’irresponsabilité de l’entreprise. Mais l’entreprise semble consacrer plus d’énergie à faire taire les lanceurs d’alerte qu’à stopper les agresseurs.
Et ils sont nombreux. En 2021, le collectif McDroits dépose 164 témoignages directs de harcèlement auprès du Défenseur des droits. Au Brésil, aux Etats-Unis, partout reviennent les mêmes histoires sordides, les mêmes récits d’humiliations. Ils témoignent de la véritable culture du harcèlement et d’une stratégie d’invisibilisation, d’irresponsabilité et de représailles menée par l’enseigne McDonald’s.
Je manque de mots pour saluer le courage de ces quatre jeunes qui témoignent à visage découvert pour que l’impunité cesse et que les salariés de McDonald’s soient mieux protégés. C’est à nous désormais de faire notre part au Parlement européen et nous en avons l’occasion grâce à la proposition de directive européenne sur le devoir de vigilance.
Pour échapper à toute responsabilité judiciaire, McDonald’s se dédouane sur ses filiales et ses franchisés. Les dirigeants de McDonald’s n’auraient aucune responsabilité, puisque les patrons des restaurants seraient les seuls responsables. En clair, les profits de la vente de chaque burger remontent la chaîne de valeur jusqu’au siège de McDonald’s… mais pas la responsabilité pour les conditions de travail des salariés. Le problème, c’est que personne ne semble être responsable ici : ni les agresseurs, ni leurs managers, ni les dirigeants. Pas de responsables donc, mais de nombreuses victimes sans recours.
Le devoir de vigilance des entreprises pour lequel nous nous battons au niveau européen vise précisément à rendre responsables les entreprises qui se cachent derrière leurs filiales, leurs franchisés ou leurs fournisseurs pour les violations des droits dont elles profitent. Les entreprises sujettes au devoir de vigilance comme McDonald’s seraient ainsi obligées à identifier les risques, prévenir ou faire cesser les violations et réparer les dommages causés.
Une loi sur le devoir de vigilance a été adoptée en France en 2017, mais elle est imparfaite et le cas de McDonald’s le montre bien. En effet, le champ d’application de la loi française n’a jamais été précisé par le gouvernement et McDonald’s prétend ne pas être couvert. L’entreprise n’a donc pas établi de plan de vigilance contre les violations des droits humains tel que le harcèlement sexuel des employées. Plusieurs syndicats ont mis McDonald’s en demeure de respecter la loi française, palliant l’inaction de ce gouvernement, et nous pouvons espérer à terme qu’un juge leur donne raison.
Mais nous ne pouvons laisser cela au hasard. C’est pourquoi notre proposition d’une directive européenne va plus loin. L’adoption de cette directive élargirait le champ d’application du devoir de vigilance et permettrait de couvrir McDonald’s. Quant aux travailleurs comme Gabriel, Jessica, Tanya et Mathilde, ils seraient placés au cœur du dispositif et pourraient obtenir réparation. L’entreprise serait tenue de préparer sa stratégie de vigilance contre les abus en concertation avec eux, et en cas de dommages, ils auraient accès à des réparations devant les tribunaux. Enfin, les entreprises récalcitrantes seraient tenues de payer des amendes pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d'affaires mondial.
Cependant, il nous reste bien du chemin à parcourir pour obtenir cette victoire législative. Nous avons commencé ce mois-ci à discuter de la proposition de directive de la Commission européenne qui est très insuffisante. Dans les prochaines semaines, je reprendrai donc la bataille contre la droite et les lobbys pour un devoir de vigilance européen réellement protecteur des droits humains et de l’environnement, avec en mémoire le précieux témoignage de Gabriel, Jessica, Tanya et Mathilde.