Pas de bifurcation écologique possible sans confrontation sérieuse avec les règles européennes
L’Assemblée nationale a voté la semaine dernière une parodie de loi climat, sabordant les travaux de la Convention citoyenne. Oubliée la promesse de reprise “sans filtre” : la trahison démocratique est totale et l’irresponsabilité écologique consommée. Les propositions des 150 méritaient mieux. Et c’est parce que nous les respectons que nous nous sommes posé cette question qui n’est jamais traitée sérieusement. Comment appliquer l’intégralité du programme des conventionnels dans le cadre des règles européennes actuelles ?
D’un côté, Macron et la droite utilisent les règles européennes comme prétexte pour ne rien faire, en affirmant à la moindre difficulté que la France agira uniquement quand les 27 se seront mis d’accord (autant dire jamais). De l’autre, les Verts et les Socialistes ont encore tendance à fantasmer l’Union européenne telle qu’elle n’est pas, refusant d’assumer la conflictualité et les rapports de force nécessaires pour y naviguer. Notre approche se veut au contraire pragmatique : analyser les blocages émanant du cadre européen et les stratégies pour les contourner, les faire tomber, ou les affronter.
1er problème, les blocages issus du droit européen lui-même. Un exemple parlant est la proposition de modulation de la TVA en fonction de la distance parcourue par les produits et l’instauration d’un facteur “local” dans les marchés publics. L’objectif est simple : faire baisser le prix à la consommation des produits locaux et les privilégier dans les marchés publics plutôt que ceux qui ont fait trois fois le tour de la planète. C’est un changement crucial alors que 30% des émissions totales de CO2 de l’Union européenne proviennent des transports… Mais le droit de la concurrence européen ne l’entend pas de cette oreille, puisque cela reviendrait à accorder un avantage aux productions locales (c’est dommage, c’est justement le but).
Si la France mettait en œuvre ces mesures, elle désobéirait donc aux règles européennes et pourrait s’exposer à des sanctions. Il faut le savoir, l’anticiper et préparer une stratégie pour y faire face ! Par exemple, pour faire accepter cette modulation de la TVA, on peut défendre des dérogations au droit de la concurrence fondées sur des critères écologiques. On peut faire cela tout en menant bataille sur le plan juridique et politique en rappelant par exemple l’incompatibilité entre les objectifs “circuits courts” de l’UE et son droit de la concurrence.
2ème problème, les compétences déjà transférées à l’Union européenne où la marge de manœuvre des Etats est donc plus faible (mais pas inexistante !). Les additifs alimentaires, que les conventionnels veulent interdire, sont par exemple réglementés par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). En théorie, la France doit porter toute demande d’évaluation de la liste de produits autorisés auprès de la Commission européenne et obtenir son accord pour interdire de nouvelles substances. Mais il y a un précédent intéressant : l'interdiction du dioxyde de titane au nom du principe de précaution (qui a d’ailleurs poussé certaines marques de confiseries comme M&Ms à changer leurs recettes.)
Contrairement à ce que dit Macron, il paraît donc possible d’en faire interdire d’autres, à commencer par les plus dangereux : mais cela nécessite d’aller batailler auprès des institutions européennes. C’est encore plus flagrant pour les accords de libre-échange, qui sont bien une compétence européenne… mais où les décisions sont prises à l’unanimité. En pratique, un seul État peut donc tout bloquer avec son droit de veto. Quand Macron refuse de revenir sur le CETA ou d’abandonner les négociations avec le Mercosur, c’est donc un choix ou une concession faite aux Etats qui font pression sur la France et aux lobbys qui poussent dans cette direction. Ce n’est en aucun cas une obligation, même si s’y opposer demanderait du courage politique et une volonté d’assumer des rapports de force au sein de l’UE.
3ème problème, les règles européennes qui nous privent des outils nécessaires pour protéger les secteurs vertueux. On connaît cet argument régulièrement sorti du chapeau pour bloquer toute mesure : dans le cadre du marché unique européen, si la France met en place des mesures écologiques plus contraignantes, elle risquerait de désavantager ses producteurs nationaux. La FNSA était par exemple vent debout contre la proposition de la CCC d’interdire en France les produits phytosanitaires autorisés par l’UE. Mais là encore, il est possible de se donner les moyens de lutter contre le dumping écologique, par exemple en subventionnant le bio et les aides à la conversion (l’exact inverse de ce qu’a fait Macron). Et assumer un protectionnisme écologique qui ne plaira certes pas à la Commission mais sur lequel nous ne céderons pas.
Ces quelques exemples montrent deux choses. D’abord que l’Union européenne est parfois utilisée comme un prétexte pour justifier les renoncements des gouvernements. Ensuite, qu’une stratégie de rapport de force est en revanche nécessaire pour pouvoir appliquer un programme radical de bifurcation écologique et sociale. Nous nous battons chaque jour dans le cadre du Parlement européen pour obtenir toutes les avancées possibles à 27. Mais il faudra parfois assumer d’avancer seul ou en petit groupe pour obtenir gain de cause. Cela passera par des bras de fer juridiques et politiques, des alliances avec des pays qui veulent avancer, mais aussi une position claire : nous désobéirons si c’est nécessaire pour faire ce pour quoi nous aurons été élus. Et ce débat doit avancer à gauche car sans cela, toute déclaration d’intention écologique aussi louable soit-elle se heurtera au mur de la réalité européenne.